Une interview avec Chris Maurice, maître parfumeur. Carbonnel
Quel rôle joue l’intuition dans votre processus créatif, et comment savez-vous qu’un parfum est “terminé” ?
L’intuition joue un rôle essentiel dans la création. Bien que les compétences techniques et l’expérience posent les bases, c’est l’intuition qui donne vie à une création. Un parfum est “terminé” lorsqu’il ne semble plus essayer d’être quelque chose – il est simplement. Il y a un moment où les notes cessent de se concurrencer et commencent à danser ensemble. C’est à ce moment-là que je sais. Parfois, ce moment arrive rapidement – presque comme si la formule attendait d’être découverte. D’autres fois, cela prend beaucoup plus de temps, avec d’innombrables essais et ajustements.
Y a-t-il des traditions olfactives culturelles ou régionales qui ont profondément influencé votre travail ?
Absolument. Étant originaire d’Espagne, je suis naturellement influencé par ce que nous avons ici, mais j’ai toujours eu une profonde connexion avec le Moyen-Orient. Voyager est une source constante d’inspiration. Chaque lieu a sa propre identité olfactive. Ces senteurs restent avec moi et se retrouvent souvent, consciemment ou non, dans mes créations. Ce n’est pas une question de traditions spécifiques, mais des émotions et des souvenirs que chaque endroit laisse derrière lui.
Si vous ne pouviez travailler qu’avec trois ingrédients pour le reste de votre carrière, lesquels choisiriez-vous et pourquoi ?
Honnêtement, il est impossible de n’en choisir que trois. Chaque ingrédient a sa propre personnalité, et une partie de la magie de la parfumerie réside dans l’infinie combinaison de contrastes et d’harmonies. Me limiter à trois serait comme demander à un musicien de jouer toute sa carrière avec seulement trois notes. Cela dit, j’ai des favoris – mais même eux évoluent avec le temps, en fonction de l’histoire que je veux raconter.
Que pensez-vous de l’essor de l’IA en parfumerie ? La voyez-vous comme une menace ou un outil d’innovation ?
Pour être honnête, je ne suis pas fan de l’IA en parfumerie. C’est un outil – rien de plus, rien de moins. L’IA peut analyser des tendances ou aider, mais elle ne peut pas remplacer l’émotion humaine, la mémoire ou l’instinct. La parfumerie, c’est raconter une histoire, et aucune machine ne peut rêver pour vous. Pour moi, la parfumerie est un art – pas un code. Lorsqu’il s’agit de véritable création – la partie émotionnelle, instinctive – l’IA est totalement hors de son domaine.
Qu’est-ce qui rend un parfum extraordinaire ?
Lorsqu’il déclenche une émotion, un souvenir ou une réaction que les mots ne peuvent pas tout à fait expliquer. Un grand parfum murmure quelque chose de profondément personnel à celui qui le porte. Cela va au-delà du fait de sentir bon – il vous touche. Il crée une réponse émotionnelle, réveille un souvenir ou révèle même quelque chose sur la personne qui le porte. Cette connexion est ce qui élève une formule en quelque chose de vraiment spécial.
Votre position sur les dupes en parfumerie ?
Je préfère m’abstenir de commenter ce sujet, car il est complexe et souvent polarisant.
Certains grands musiciens sont souvent prisonniers de leurs propres succès. Et qu’en est-il des parfums ? Y a-t-il une fragrance que vous devez produire trop souvent et dont vous êtes déjà un peu fatigué ?
Il y a effectivement des créations que les clients demandent encore et encore. Et bien que cela puisse devenir répétitif, je me rappelle que si les gens y reviennent, cela signifie que le parfum a vraiment résonné. Le fait que les gens continuent de demander le même parfum signifie que j’ai créé quelque chose d’inoubliable. C’est un pouvoir que très peu possèdent. C’est un privilège, pas un fardeau.